A la lisière de la forêt, près de la Rue Saint-Pierre,
se dressait autrefois le prieuré Saint-Thibault.
En 1982, Germain Montier en rédigea l'historique que voici...
Sur le territoire de la commune de la Neuville-en-Hez, tout au
bout de la forêt de Hez, à l'endroit appelé actuellement « Le
Prieuré », près du « Carrefour du Prieuré », à la base de la
hauteur appelée « La hauteur de Saint-Thibault » existait au XIIè
siècle une chapelle fondée, selon Louis Graves, en 1066, dédiée à
St-Rémi et qui ne tarda pas à tomber en ruines. Selon Louvet,
dans l'Histoire et Antiquités du Pays de Beauvais (1635) un
premier prieuré aurait été construit peu de temps après le décès
de Saint-Thibault qui arriva en 1140. Dès le milieu du XIIIè
siècle ce prieuré est à nouveau en ruines.
Mais en 1244, Mahaut, Comtesse de Boulogne qu'un premier mariage
avec Philippe de France, un des fils de Philippe-Auguste, avait
faite Comtesse de Clermont et remariée avec Alphonse de Portugal
décida avec son second mari de relever les ruines du prieuré de
Saint-Thibault en donnant à l'église et aux bâtiments davantage
d'importance et en les dotant suivant un titre de fondation ainsi
rédigé :
A tous ceux présents et futurs qui verront ceci,
Moi, Alphonse Comte de Boulogne et seigneur de Dammartin,
et Moi, Mathilde Comtesse de Boulogne et dame de Dammartin,
femme du précédent, rendons public que nous avons, en
l'honneur de Saint-Thibault (Théobald), réédifié une ancienne
chapelle située à Saint-Rémi, tout près du village de la Rue
Saint-Pierre et par devant notre forêt de Hez, mouvante de
Saint-Symphorien de Beauvais et avons donné et concédé à
cette chapelle et nous concédons pour le salut de nos âmes et
celles de nos aieux, douze livres Parisi chaque année à
prendre à la prévôté de notre fief de Dammartin, à l'octave
de la Tossaint.
Et si le percepteur de Dammartin ne pouvait s'acquitter
de ces dits deniers à l'échéance, il serait tenu par jour à
une amende de 5 sols Parisis à verser au chapelain de ce
lieu.
Les deniers devront être acquittés jusqu'à temps que le
solde de la somme soit pleinement payé.
En cas de décès du dit chapelain, les sommes dues devront
être reversées à l'église Saint-Symphorien. Le couvent de
Saint-Symphorien devra alors installer à Saint-Thibault un
prêtre nommé qui, perpétuellement, chaque jour, devra
célébrer l'office divin pour le salut de nos âmes et celles
de nos aïeux.
Et s'il arrivait que le dit abbé et le couvent ne
pouvaient mettre à la chapelle un prêtre moine pour y dire la
messe, nous ou nos héritiers pourrions retenir les 12 livres
susdites jusqu'à ce que tout soit acquitté comme dit plus
haut.
Et afin que nous affirmions ceci par la force d'une
confirmation et pour obtenir tout ce qui vient d'être dit
dans cette charte, nous y avons appliqué nos sceaux.
Donné en notre domaine de Hez en l'année du Seigneur 1244
au mois de septembre.
La dotation spécifiait que le premier chapelain serait institué
par eux, et qu'après le décès de celui-ci, ses successeurs
seraient nommés par l'abbé et les religieux de Saint-Symphorien.
En 1250, le mari de la Comtesse de Blois, Alphonse de Portugal,
étant devenu roi de ce pays, laissa sa femme en France, retourna
au Portugal et, sans se soucier le moins du monde de son premier
mariage, en contracta un second avec une princesse de Castille.
La Comtesse de Boulogne se rendit alors à Rome pour avoir raison
du divorce de son mari devant le Pape. Elle n'en rapporta que des
indulgences qu'elle obtint d'Innocent IV pour ceux qui, le 4ème
jour d'août visiteraient la chapelle de Saint-Thibault « avec
confession et repentance de leurs péchés ».
Ainsi s'établit un pèlerinage qui ne tarda pas à être fréquenté,
mais surtout le premier dimanche de mai.
Un titre de 1454 précise que le prieuré, appelé
Saint-Thibault-des-Vignes comprenait autour de la chapelle, une
petite ferme habitée par un laboureur.
On connaît le nom de quelques prieurs de Saint-Thibault :
-
Dom Jean Lucas - 1493
-
Dom Toussaint Malbourrée - 1604-1608-1611-1612-1619
-
Dom Charles Gérard - 1626
-
Messire Jean Favier (ou Favière) - 1641-1642
-
Messire Pierre Jourdan - 1656
-
Dom Antoine Lavaudier - 1676
Cependant les bâtiment étant maintes fois ruinés et le rendement
des terres trop faible pour maintenir au prieuré une prospérité
capable de nourrir des religieux, les prieurs en viennent à louer
les terres en consentant des « baux généraux ».
« Baux généraux du revenu entier du prieuré Saint-Thibault,
circonstances et dépendances tant en maison, manoir, granges,
étables, cours, jardins plantés d'arbres, terres labourables, … »
au profit de :
-
Jean Hainselin, prêtre curé de Wavignies demeurant à la
Neuville-en-Hez, le 4 juin 1454
-
Jean Lecarton, laboureur, 22 janvier 1493
-
Raoul Ansel, chirurgien, le 1er mai 1509. A cette date, les
religieux sont autorisés à faire ces locations par le prieur
Dom Lucien Hacquyn qui reconnait que l'église prieuré de
Saint-Thibault et les bâtiments sont « ruines et décadences
».
-
Jean de la Fraye, laboureur, 29 décembre 1604
-
Michel Tassant, 1er juillet 1608
-
Jacqueline Ricouart, veuve de Louis Demonceaux, 20 juillet
1611
-
Antoine et François Coqu et Louis Labitte, 3 décembre 1612
-
Antoine Coqu, 22 janvier 1619
-
Jean Labbé et Lucien Tassart, 6 septembre 1626
-
Pierre Turquin, mars 1641
-
Guillaume Cauchon, juillet 1642
-
Henri de Chambly et Marie Ducroc, 17 juin 1656
-
Marie Ducroc veuve de Henri de Chambly, 29 décembre 1676.
Il existe un document complet indiquant les conditions dans
lesquelles, en janvier 1645, Messire Jean Favier (ou Favière)
devint prieur de Saint-Thibault.
Le 1er janvier 1645 Messire Jean Favier (ou Favière), prêtre du
diocèse de Clermont, s'était fait pourvoir à Rome en commande de
ce prieuré ; la provision portait, qu'avant de prendre possession
du prieuré et de s'immiscer en sa jouissance, il serait tenu de
fournir bonne caution, de réparer les bâtiments du prieuré, de
retirer les biens qu'en ont été aliénés et, à cet effet,
d'employer chaque année, dans le temps qui sera prescrit, telle
somme qui sera arbitrée par l'ordonnance de l'Evêque ; commission
de l'Evêque de Beauvais à Messire Léon Pillon curé de la
Neuville-en-Hez et Doyon de Clermont, pour faire la visite du
prieuré, examiner son revenu et ses biens aliénés, 20 mars 1641 ;
information du doyen, 20 mars 1641 : Messire Louis Pillon curé
d'Etouy dépose que le bien du prieuré comprend quelques arpents
de bois, 22 mines de terre, et 2 mines de prés à la rue
Saint-Pierre et Bresles, une dîme à Sacy-le-Grand, affirmée 20
livres et une pièce de vigne à Laversines ; le revenu total est
de 100 livres ; les charges du prieur sont : une messe basse
chaque dimanche et trois hautes messes, les premiers dimanches de
mai, juillet et 19 août ; procès-verbal de 21 mars 1641, du doyen
assisté d'un maçon et d'un charpentier et d'un maçon : grande
porte de brique à « rechaperonner » ; sont à « rechaperonner »
aussi 3 toises et demi de murs de terre de cette porte à la
grange, 19 toises de murs de terre de cette grange à la porte de
la chapelle, 10 toises de mur depuis le pignon de la chapelle
jusqu'à la petite étable, 4 toises de mur de jardin, à rebâtir
une partie du mur à gauche de la grand'porte, dans la grange à
gauche en entrant, de 33 pieds de long, il faut une « solle »
neuve ; petite grange, étable à vaches, étable à cheval, cuisine,
four, cave, chambre basse, chambre haute, grenier, à la chapelle,
il faut réparer, des deux côtés, 6 toises de murailles, plancher,
vitres et couvertures de tuiles ; total des réparations : 426
livres ; ordonnance de l'Evêque du 22 mars 1641 qui condamne
Favière à employer chaque année le tiers du revenu du prieuré à
ces réparations et à donner caution ; acte de cautionnement par
Pierre Gérard, avocat. Prise de possession de Favière par notaire
apostholique, où est fait mention d'avoir touché les reliques de
Saint-Thibault.
Cette situation précaire ne s'améliora pas ; le service de la
chapelle fut réduit à une messe chaque dimanche et petit à petit,
fut confié aux soins d'un prêtre voisin.
Toutefois, le pèlerinage survivait.
Les fiévreux qui étaient alors très nombreux y accouraient de
toutes parts et se débarrassaient de leurs fièvres en la liant
avec une « hart » à un arbre voisin de la chapelle. En 1846, le
curé de la paroisse déclare que la dévotion à Saint-Thibault
persévère. On fait des neuvaines et des pèlerinages à la croix
Saint-Thibault dressée non loin de l'emplacement de l'ancien
prieuré. La personne malade part de chez elle quand elle sent la
fièvre venir de manière à arriver à Saint-Thibault quand la
fièvre est la plus forte ; elle attache une « hart » et continue
ce pèlerinage dangereux tous les jours de la neuvaine. La
disparition des fièvres a rendu sans objets ces antiques
coutumes.
Un plan du XVIIIè siècle montre la chapelle au bout d'une avenue,
mais les bâtiments ont déjà disparu ; ceci bien que Louis Graves
indique que la chapelle et les bâtiments ont été détruits en
1802.
Aujourd'hui, quelques rares personnes âgées de la rue
Saint-Pierre ont encore le souvenir de pèlerinage à
Saint-Thibault dans leur jeunesse. L'église de la rue
Saint-Pierre aurait conservé une statue de Saint-Thibault
provenant du prieuré.
Sur le terrain, la disposition des chemins conserve absolument le
dessin du plan du XVIIIè siècle existant aux Archives, mais
l'ensemble du terrain est envahi d'épais massifs de ronces ou de
tailles très touffus.
Des habitants du village affirment que des débris de murs
subsistent encore, mais il faudra de la patience et de la
ténacité pour avoir raison de la végétation sauvage.
Seul rappelle le souvenir de Saint-Thibault, un calvaire de fer,
d'un joli dessin et encore en bon état, scellé sur un socle de
pierre où l'inscription suivante fut gravée : « Cette croix a été
réédifiée en 1898 par les habitants ».
A proximité se dresse un chêne admirable qui, à lui seul,
mériterait la promenade, s'il n'y avait pas aussi un devoir pour
nos générations actuelles de ne pas laisser disparaitre
définitivement un morceau de patrimoine dont l'existence remonte
jusqu'en 1066.
Germain Montier
(1982)